CHEMIN DE VIE …. CHEMIN D’ENVIES ! –
ACTE 3 FINAL– ASCENSION du KILIMANDJARO
Ou Le retour de "MAMA AFRICA"
Par Christine
Gravir les 5.895 m du KILIMANDJARO est un rêve, un objectif et un défi que j’ai réalisé le 11 août 2023, par la voie MACHAME sur 7 jours, à 72 ans.
Annoncée comme l’un des itinéraires les plus spectaculaires et changeants, cette «Whisky Way» permet une meilleure acclimatation : pas besoin de piolets et 100% bivouacs. Contrairement à la voie MARANGU, dite « Coca-Cola», moins exigeante et moins chère, qui offre des refuges pour nuits réparatrices chaque soir. Je me félicite de mon choix et de la période conseillée.
Partager mes émotions est tout aussi vertigineux ! Car la progression, depuis la longue préparation physique et mentale, jusqu’à la lente avancée de l’expédition, est très intime. Mon récit engage mon humble expérience, au regard de mon chemin de vie personnel.
A l’inscription, je sais que le MAM (Mal Aigu des Montagnes) échappe à toute préparation et que moins de la moitié des candidats parviennent au sommet. Mon guide informe que ce taux a légèrement augmenté du fait d’une meilleure formation de nos dévoués chaperons tanzaniens. Seule précaution an amont : un test d’hypoxie favorable à l’INSEP. Pour tout le reste, j’applique avec soin et confiance, les conseils du guide chevronné :
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Boire entre 3 L et 5 L par jour
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Manger avec appétit, meilleur signe de bonne adaptation (c’est facile : tout est bon !)
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Respecter le rythme de ses pas selon la règle d’or en swahili du « Polé-Polé» = lentement mais sûrement ». Facile aussi : c’est la mienne depuis longtemps! Chaque enjambée, souvent pas plus d’une longueur de pied, doit permettre une respiration aisée à tout instant, sans jamais atteindre l’essoufflement.
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Lui verbaliser toute difficulté pour faciliter les meilleures mesures.
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Tests à l’oxymètre matin et soir : ainsi, l’un de mes coéquipiers est privé de l’ascension finale.
La conscience du danger est palpable, avec :
- Son commentaire lors de la démonstration du caisson hyperbare : « Si tu y es soumise, c’est que tu y rentres inconsciente. Quand tu iras mieux, tu peux faire pipi/caca dans le caisson : c’est nous qui nettoyons … et c’est toujours mieux que mourir ! »
- Les allées et venues des hélicoptères de secours au -dessus de nos têtes
- La vision d’un homme atteint d’un œdème cérébral, dégagé d’urgence du camp de base
Je bénéficie d’une bonne expérience en termes de rootsitude: nuits sous tente, rangement du sac à dos, … ce qui me fait gagner temps et confiance.
Notre équipée est de 14 accompagnants tanzaniens pour 4 participants : 2 guides, 1 chauffeur, 1 (excellent) cuisinier et 12 porteurs.
Mes compagnons de jeux ont 21, 39 et 41 ans : 3 sur 4 auront la joie d’atteindre le but. Je suis, comme souvent,
la doyenne, d’où mon charmant surnom de « MAMA AFRICA » ! Il me va bien, tant je suis attachée à ce continent et illustre l’élégance chaotique de mon évolution sur les pentes !
Chaque pas m’impose une profonde concentration sur le parcours très rocailleux. Chaque pierrier est un piège, surtout en descente. Une belle solidarité m’offre des mains fermes tendues pour m’aider à surmonter les roches les plus escarpées. Sujette à la peur du vide, je trouve la force mentale de passer les obstacles, dont la fameuse muraille de BARRANCO, grande façade rocheuse de 300 m de haut. De toutes façons, impossible de faire machine arrière !
J’échappe au MAM et ses risques de nausée, vertige, migraine, malaise, déséquilibre ou vomissement, voire pire comme l’œdème pulmonaire. J’aime le mélange des nationalités présentes, amusée par le nombre d’israéliens et nos brefs échanges. J’apprécie la coupure totale des réseaux.
Dans ce nouveau défi, je suis une amante infidèle, amoureuse des espaces désertiques qui joue avec le feu de la montagne par excitation, en maîtrisant mes appréhensions avec force de volonté, tout en maudissant mon harnachement de couches en oignon pour supporter les températures froides nocturnes.
Une fois encore, j’apprends de moi. Ce « toit de l’Afrique » fait encore grandir mon discernement. Mieux et bien me comprendre, c’est mieux et bien comprendre les autres : un mélange de recul, clairvoyance et tolérance. Je sais ce qui est bon pour moi et m’éloigner de ce qui ne l’est pas.
Mon émerveillement face aux images de carte postale lors des pauses bien méritées, n’occulte pas des aspects plus négatifs de mon expérience :
J’ai évité le « parcours des fourmis » en Juin dans l’Atlas (Cf Acte 2). Ici, je me trouve dans une immense fourmilière, actrice involontaire de sa transhumance ! Choisir la meilleure saison, dite sèche, implique donc cette forte fréquentation ! 150 à 200 randonneurs à chaque camp avec 4 porteurs en moyenne chacun : comptez, 600 à 800 personnes regroupées autour des tentes. Peu d’intimité, accentuée par les attentes aux contrôles. Dès l’entrée du Parc du Kili, avec la pesée et vérification des sacs, porteurs et participants. Puis, à chaque fin de journée pour la signature du « registration book ». C’est le prix à payer pour obtenir le fameux diplôme remis très solennellement à la fin. Nombre de passages sont étroits à partager avec les porteurs, formant parfois une queue. La règle de circulation : nous à gauche et Tanzaniens à droite ! J’optimise ces ralentissements comme autant de répits, malgré les changements de rythme à gérer. Le plus impressionnant est le soir de l’ascension finale où, partant à 23 :30 du camp de base, je visualise devant moi une armée de lucioles qui se détache sur le mur quasi-vertical de roche noire, et la même traînée de frontales derrière moi.
​L’effort des porteurs relève de l’exploit. Ils subissent de lourdes charges sur leurs dos et leurs têtes dans un équilibre souvent précaire. Ils partent après avoir démonté tente et matériel chaque jour. Ils nous doublent avec une incroyable célérité et remontent la colonne pour tout réinstaller avant notre arrivée. Je suis pleine d’admiration et de respect mais aussi de peine et de compassion face à leur équipement rudimentaire. Leurs chaussures sont usagées : émue mais gênée par ce courage au service de notre plaisir. Pourtant leurs imperturbables sourires sont ponctués de « jumbo = salut ! ». Chacun répond : « jumbo – jumbo !». Sur la descente vertigineuse du retour, les « jumbo » se font moins fréquents. La fatigue est évidente pour tous. Les plus valeureux porteurs, parviennent à courir, heureux à l’idée de retrouver leurs familles.
Si les autorités tanzaniennes font une chasse sévère au plastique (sacs/bouteilles), il n’en est pas de même pour les zones de pause-technique. Les marcheurs s’arrêtent sur les mêmes rares zones planes, donnant à ces lieux d’aisance improvisés, un spectacle dégoutant. Toutes les nationalités représentées y contribuent ! Que deviendront ces spots dans les années à venir ?
Même si la nudité de son spectacle s’annonce dès le départ, l’arrivée au sommet n’est pas aussi belle qu’espérée : forte, envoûtante et symbolique mais pas surprenante. Pascal DANEL serait dépité de voir ses neiges éternelles disparues à jamais. Certes, isolé en contre-bas, un morceau de glacier s’accroche péniblement à la roche : pour combien de temps ? Le sommet est immensément gris et terne. Le vent est fort avec une température de -15° qui prive mes doigts de sensations, mais pas de douleurs.
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Le fameux levé du soleil se déroule dans le dos. La vision de ses grandioses rougeurs matinales, à ce stade de mon effort, ne me permet pas de l’apprécier à reculons (exactement comme celui du Paris-Mantes !). Je ne peux immortaliser cette vision éphémère, photos à l’appui ! Mes amis non plus.
Quelques névés se confondent avec la caillasse, tant ils roulent sous nos pas dans la poussière uniforme de ce mont chauve. Pas beaucoup de charme à ce décor nu qui illustre la lente et bien réelle évolution climatique.
Il est conseillé aux étrangers d’y rester environ ¼ d’heure, quand les Tanzaniens le peuvent sur ½ heure. Il m’y faut gérer le passage de la cinquantaine de personnes déjà devant moi pour accéder au fameux panneau-photo mythique qui atteste de l’exploit !
Pas très glamour, surtout quand on sait qu’il faut redescendre ces 5.895m rapidement pour notre santé. Mes doigts sont gelés : je ne peux ni prendre une photo, ni boire ou manger une barre ! De toutes façons, mes gourdes sont des blocs de glace. Juste le temps d’un hug avec mes partenaires d’aventure. Le guide est habitué qui fouille dans ma Goretex pour accéder à mon compact. Ouf, la photo est dans la boîte !
Le rythme des journées est cadencé pour assurer la réussite : peu de place pour immortaliser ma contemplation. Pourtant, faune et flore de ce gigantesque parc naturel méritent des d’arrêts-photos.
Au bilan de ce défi, je compte la satisfaction d’une bonne condition physique, confortée par à un entrainement équilibré toute l’année et ma grande autonomie. Elles me permettent un aboutissement sans courbature, ampoule, blessure ou même contre-coup de fatigue.
Pour clore mon épisode « Chemin d’envies » et mon expérience montagnarde 2023, le sac à dos de mon « chemin de vie » s’est allégé de mes peurs du vide et du froid, non pas éliminées mais maîtrisées. Il a substitué le mot réussite à celui d’impossible. Il s’est rempli de sérénité et d’une joie profonde. S’appelle-t-elle fierté ?
En tout cas, elle ne se mesure pas par rapport à qui que ce soit.
Au contraire, elle me rapproche des autres avec une humilité accrue. Elle mesure l’évolution de mes forces et faiblesses et développe encore mon goût de l’authenticité et du partage.
Mes nouvelles rides de soleil, poussière et nuits difficiles sont remplies de jolis souvenirs. Moi qui n’ose descendre les marches du métro sans m’accrocher à la main courante, j’ai su combattre ma phobie du vide. Cet objectif principal est atteint.
Malgré l’enchantement momentané devant certains paysages, je n’ai pas ressenti la magie déjà offerte dans d’autres contrées. Comme prévu, constater la fin des neiges éternelles en présence de tant de monde (20.000 en 2013, 40.000 en 2023 … quid en 2033 ?) ne me fascine pas.
Heureusement, la planète me réserve encore tant d’autres trésors à découvrir, avec l’immensité de leurs horizons sans fin ! Je me réjouis de garder toute ma curiosité.
En ambassadrice de mes bienveillants amis Tanzaniens, je souligne à certains Français que le Kili est en Tanzanie … et non pas au Kenya, et que la photo-cliché prise d’un acacia parasol, souvent agrémenté d’un lion et/ou une girafe sur fond de Kili, ne peut être prise en Tanzanie … mais au Kenya ! Ça , c’est fait !
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Je garde en mémoire ces précieux mots de mon swahili débutant :
« Hakuna Matata != Pas de problème ! »
« Karibu = Welcome = Bienvenue – De rien ! »
« Asanté sana – Merci beaucoup » pour mes guides et partenaires de périple et leur solidarité.
Fin des Actes 1, 2 et 3 de ma séquence montagne 2023 qui inspirera peut-être d’autres candidats ?
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Christine Taieb